Bonjour!
J’espère que vous allez bien! Je vous souhaite un bon week-end, et en ce samedi, on se retrouve pour les dernières lignes du mois de septembre! J’espère que cette catégorie d’article vous a plu, et si c’est le cas, j’en referai plus tard!
En attendant aujourd’hui je vous retrouve avec le livre Audrey retrouvée, un très bon livre de Sophie Kinsella qui m’avait séduite dès les premières lignes! J’espère qu’il vous plaira tout autant que moi et que vous aurez envie de le lire par la suite!
Si vous l’avez déjà lu, dites-moi vos avis en commentaire!
AUDREY RETROUVÉE
Sophie Kinsella, 2016
OMG. Maman est devenue dingue.
Pas dingue tout court. Frappadingue.
Sur son mode dingue normal, elle dit, genre : « J’ai lu un article dans le Daily Mail, il faut arrêter
tout de suite le gluten. » Et vlan, elle achète trois pains sans gluten. Immangeables. On les boycotte, et de
son côté elle va enterrer en catimini son sandwich dans un pot de fleurs. La semaine suivante, la vague du
sans-gluten est passée.
Ça, c’est son degré habituel de dinguerie. Mais ce coup-ci, elle a dépassé les bornes.
Elle se tient debout à la fenêtre de sa chambre qui donne sur Rosewood Close, la rue où on habite.
Non, pas « debout », ce serait trop normal. Et maman n’a pas du tout l’air normal. Elle chancelle et se
penche dehors avec une lueur sauvage dans les yeux. Entre ses mains, en équilibre précaire sur le rebord
de la fenêtre : l’ordinateur de mon frère. D’un instant à l’autre, il va s’écraser en contrebas. Un ordinateur
d’une valeur de 700 livres.
700 livres ! Elle qui nous reproche sans arrêt de ne pas avoir conscience de la valeur de l’argent et
qui répète constamment : « Il faut travailler dur pour gagner 10 livres ! » ou bien : « Vous ne gâcheriez
pas tant d’électricité si c’était vous qui payiez la facture. »
Ça n’a pas de sens, pourquoi se donner la peine de gagner 700 livres si c’est pour littéralement les
jeter par la fenêtre ?
En bas, sur la pelouse, Frank, dans son tee-shirt « The Big Bang Theory », se prend la tête à deux
mains et s’écrie d’une voix paniquée :
— Maman ! Maman, c’est mon ordinateur !
— Je sais que c’est ton ordinateur, hurle maman, hystérique. Tu crois que je ne le sais pas ?
— Maman, s’il te plaît, est-ce qu’on pourrait en parler calmement ?
— J’ai tout essayé ! réplique-t-elle. J’ai été gentille, j’ai discuté, je t’ai supplié, j’ai tenté de te
raisonner, je t’ai même soudoyé… Tout, Frank, TOUT !
— Mais j’ai besoin de mon ordi !
— TU N’EN AS PAS BESOIN ! rugit maman, dont la fureur me fait grimacer.
— Maman va JETER TON ORDINATEUR PAR LA FENÊTRE ! crie Felix qui déboule à cet instant
sur la pelouse.
Il lève vers maman un visage à la fois ébahi et émerveillé. Felix, c’est notre petit frère. À quatre ans,
il accueille presque toutes les nouveautés avec un étonnement ravi. Un camion qui se gare dans notre rue !
Du ketchup ! Une frite super longue !… Maman jette un ordinateur par la fenêtre, voilà un miracle de plus
à ajouter à sa liste.
— Oui, et il va se casser, glapit Frank. Et tu pourras plus jamais jouer à Star Wars de toute ta vie.
Le visage de Felix se décompose et son expression catastrophée déchaîne le courroux de maman.
— Frank ! vocifère-t-elle. Ne fais pas pleurer ton frère !
Nos voisins d’en face, les McDuggan, sont sortis sur le pas de leur porte pour mieux observer la
scène. En voyant ce que maman s’apprête à faire, Ollie, leur fils de douze ans, hurle :
— NOOOOOON ! Madame Turner !
Il traverse la rue à toute vitesse, se plante à son tour sur notre pelouse et lève vers la fenêtre un
regard aussi effondré que celui de Frank.
Ollie joue de temps en temps à Land of Conquerors en ligne avec Frank, à condition que celui-ci soit
de bonne humeur et qu’il n’ait trouvé personne d’autre avec qui jouer. Ollie est encore plus paniqué que
Frank.
— Le cassez pas, s’il vous plaît, madame Turner, implore-t-il tout tremblant. Y a toutes les
sauvegardes de jeu de Frank dessus.
Ollie se tourne vers Frank et ajoute :
— Tes commentaires sont trop drôles !
— Merci, marmonne Frank.
— Ta mère, c’est vraiment…, dit Ollie en clignant nerveusement des yeux. La super déesse guerrière
niveau sept.
— Comment ? hurle maman.
— C’est un compliment, rétorque sèchement Frank en levant les yeux au ciel. Tu le saurais si t’avais
joué au moins une fois… Niveau huit, en fait, corrige-t-il à l’intention d’Ollie.
— T’as raison, acquiesce Ollie. Huit.
— Tu n’es même plus capable de communiquer dans notre langue ! proteste maman, à bout de nerfs.
La vie n’est pas une succession de niveaux à passer.
— Maman, je t’en prie, supplie Frank. Je ferai tout ce que tu veux. Je chargerai le lave-vaisselle. Je
téléphonerai à grand-mère tous les soirs. Je…
Il cherche ce qu’il peut bien encore inventer et lance :
— Je lirai aux malentendants.
« Lire aux malentendants » ? Non mais, je rêve !
— Aux malentendants ? s’écrie maman, folle de rage. Je ne te demande pas de lire aux malentendants
! C’est toi le sourd, ici ! Tu n’entends jamais rien de ce que je te dis avec ce satané casque vissé sur les
oreilles et…
— Anne !
La voix de papa. Il est venu se joindre à la mêlée. Deux voisins supplémentaires ont surgi sur leur
perron. L’incident est en passe d’entrer dans la légende du quartier.
— Anne ! répète papa.
— Laisse-moi m’occuper de ça, Chris, réplique maman d’un ton menaçant. J’ai la situation bien en
main.
Papa n’en mène pas large. J’ai un père grand et beau comme les mecs dans les pubs de voitures. À le
voir, comme ça, on penserait que c’est lui qui prend les décisions, mais dans le fond, il n’a rien d’un
mâle alpha.
Bon, j’exagère un peu. Mon père a une personnalité dominante dans plein de domaines, je suppose.
Seulement maman domine encore plus que lui. Elle est autoritaire, forte, belle et autoritaire.
J’ai dit deux fois « autoritaire » ? Oups.
— Chérie, je sais que tu es en colère, commence papa, optant clairement pour la politique de
l’apaisement. Mais tu ne vas pas un peu loin, là ?
— Un peu loin ? C’est lui qui dépasse les bornes ! Chris, enfin ! Il est accro.
— Je suis pas accro ! hurle Frank.
— Tout ce que je dis, c’est que…
— Alors ? dit maman en se décidant enfin à soutenir le regard de papa. Où veux-tu en venir ?
— Si tu lâches cet ordinateur, tu vas abîmer la voiture, lui fait observer papa avec une grimace de
douleur. Tu ne pourrais pas l’orienter un peu plus vers la gauche ?
— J’en ai rien à foutre de la bagnole ! Je fais ça par amour !
Elle incline l’ordinateur un peu plus sur le rebord. Nous poussons tous, les voisins aussi, un petit cri
étouffé.
— PAR AMOUR ? hurle Frank. Si tu m’aimais, tu ne voudrais pas casser mon ordi.
— Et toi, Frank, si tu m’aimais, tu ne te lèverais pas à 2 heures du matin derrière mon dos pour jouer
en ligne avec des types en Corée !
— Tu t’es levé à 2 heures du mat’ ? demande Ollie, épaté.
— Je m’entraînais, explique Frank avec un haussement d’épaules. Je m’entraînais, répète-t-il avec
emphase au bénéfice de maman. Le tournoi est pour bientôt ! Tu m’as toujours dit qu’il fallait que je me
fixe un but dans la vie ! Ben, j’en ai trouvé un !
— Jouer à Land of Conquerors n’est pas un but dans la vie. Mon Dieu ! Mon Dieu ! répète-t-elle en
se frappant le front avec l’ordi de Frank. Mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire de travers ?
— Oh ! Audrey, dit soudain Ollie qui vient de me repérer. Salut, ça va ?
Je recule d’effroi. La fenêtre de ma chambre est cachée dans un coin. En principe personne ne doit me
voir. Surtout pas Ollie qui, j’en suis sûre, a un faible pour moi, même s’il a deux ans de moins et m’arrive
à peine à l’épaule.
— Regardez ! La star ! s’exclame Rob, le père d’Ollie.
Depuis quatre semaines, même si mes parents sont allés le voir chacun à tour de rôle pour lui
demander d’arrêter, il s’obstine à m’appeler « la star ». Il trouve ça très drôle et pense que mes parents
n’ont aucun sens de l’humour. (Je remarque que, pour beaucoup de gens, « avoir le sens de l’humour »
équivaut à « être une brute sans cœur ».)
Cette fois, pourtant, ni maman ni papa n’ont entendu sa « blague ». Maman est toujours en train de se
lamenter :
— Mais qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
D’en bas, papa l’observe, inquiet.
— Tu n’as rien fait de mal ! lui crie-t-il. Tout va bien ! Chérie, descends donc boire un verre. Pose
cet ordinateur… provisoirement, s’empresse-t-il de préciser en la voyant tiquer. Tu pourras toujours le
jeter par la fenêtre plus tard.
Maman ne bouge pas d’un pouce. L’ordinateur se balance dangereusement au-dessus du vide. Papa
tressaille.
— Chérie, pense à la voiture… On vient tout juste de terminer de la payer…
Il se rapproche de la voiture et ouvre grand les bras comme pour intercepter le projectile dans sa
chute.
— Une couverture ! lance Ollie, qui vient d’avoir une illumination. Sauvons l’ordi ! Il nous faut une
couverture ! Y a qu’à se mettre en cercle et…
Maman ne semble pas avoir entendu.
— Je t’ai donné le sein ! Je t’ai lu Babar et Winnie l’ourson. Tout ce que je voulais, c’est que tu sois
un garçon bien élevé qui lit des livres, s’intéresse à l’art, à la nature, aux musées, et peut-être à un sport
de compétition…
— Justement, LOC est un sport de compétition ! glapit Frank. T’y connais rien ! C’est un truc très
sérieux ! Tu sais, le grand prix du tournoi international de Toronto cette année est de 6 millions de dollars
!
— Tu nous le répètes assez ! continue de crier ma mère. Et alors, tu vas gagner, peut-être ? Devenir
riche ?
— Peut-être, opine Frank en lui lançant un regard noir. Encore faudrait-il que j’aie assez de temps
pour m’entraîner.
— Frank, sois réaliste…
La voix de ma mère, stridente, effrayante presque, couvre les bruits du quartier.
— … Non, tu ne participeras pas au tournoi international de LOC, tu ne gagneras pas 6 millions de
dollars, et tu ne seras jamais un joueur de jeux vidéo professionnel ! IL N’EN EST PAS QUESTION !